L’Art-thérapie à l’Épreuve d’Alzheimer : Réveiller les Rives de l’Inconscient


L’Art-thérapie à l’Épreuve d’Alzheimer : Réveiller les Rives de l’Inconscient

Et si la maladie d'Alzheimer n'avait pas le dernier mot ?
Découvrez comment l'art-thérapie d'inspiration freudienne ranime la mémoire émotionnelle, apaise l'angoisse et restaure un lien symbolique. Étude clinique et cas détaillés.

La maladie d’Alzheimer est souvent décrite comme un naufrage, un effacement progressif de l’identité sur les rives de l’oubli. Face à ce phénomène neurodégénératif complexe, les approches purement cognitives montrent leurs limites.
En tant qu’art-thérapeute formée à la psychanalyse freudienne, je constate quotidiennement qu’un autre champ de bataille existe : celui de l’inconscient et de la vie pulsionnelle. 

Cet article propose d’explorer, preuves cliniques à l’appui, comment le processus de création artistique offre une voie royale d’accès à la subjectivité du patient, contournant les défaillances du langage verbal pour s’adresser directement à son économie psychique. Il ne s’agit pas de guérir l’incurable, mais de soigner l’essentiel: le lien, l’émotion et le sentiment d’exister.

  1. Cadre théorique : L’Inconscient à l’Oeuvre malgré la Maladie

La neuropathologie décrit la destruction des neurones et des synapses. 
La psychanalyse, quant à elle, nous invite à considérer la persistance de l’appareil psychique tel que Freud l’a décrit.

  • La régression au service du Moi : La maladie provoque une régression - non pas pathologique, mais libératrice. Le patient retrouve un accès privilégié aux processus primaires (pensée magique, condensation, déplacement) qui sont justement le terreau de la création artistique. Le travail artistique devient un espace où cette régression est non seulement autorisée mais sublimée.
  • La levée du refoulement et l’émergence du symbolique : Avec l’affaiblissement des instances supérieures (le Moi, le Surmoi), le refoulement se lève partiellement. Des contenus inconscients, des affects bruts (angoisse, colère, désir) font surface. 
    L’art-thérapie offre un médium pour que ces contenus ne fassent pas effraction, mais se figurent dans la matière (peinture, argile, son). La tâche de couleur devient alors l’équivalent d’un représentant-représentation de l’affect.
  • La pulsion de vie contre l’effondrement : Face à la pulsion de mort que manifeste la maladie (désinvestissement, repli), l’acte de créer mobilise la pulsion de vie (Éros). Il s’agit d’une lutte active pour lier les énergies psychiques, pour laisser une trace et investir le monde extérieur.

       2. Effets Cliniques : De la Théorie à la Pratique

 

L’approche freudienne n’est pas qu’abstraite ; elle se manifeste par des effets concrets et observables.
 

  • Apaisement de l’Angoisse et Diminution des Troubles du Comportement : L’angoisse inérente à la maladie est souvent une angoisse de morcellement, de chute dans le vide. Le cadre contenant de l’atelier et l’acte de créer (tenir un pinceau, malaxer l’argile) réinstaure une enveloppe psychique, un bord qui contient et rassure. Les comportements d’agitation ou d’agressivité, fréquents en soirée (« sundowning »), diminuent notablement après une séance, car l’excitation interne a été canalisée et symbolisée.
     
  • Réactivation de la Mémoire Émotionnelle et Procédurale : Si la mémoire épisodique (les souvenirs conscients) s’éfface, la mémoire implicite (procédurale et émotionnelle) résiste farouchement. Le geste de peindre, le plaisir sensoriel du contact avec la matière, la reconnaissance d’une couleur aimée mobilisent ces mémoires intactes. Un patient peut ne plus reconnaître son fils, mais se souvenir parfaitement du geste qui lui permet de mélanger du bleu et du jaune pour obtenir du vert.
     
  • Restitution du Lien et de la Narrativité : L’œuvre produite devient un objet tiers entre le patient et le thérapeute, mais aussi entre le patient et sa famille. Elle est le support d’une nouvelle narrativité. "Racontez-moi cette couleur", " Que vous évoque cette forme ?”. Même les mots sont confus , ils témoignent d’une pensée active.
    L’œuvre devient une preuve tangible d’existence et un support de dialogue qui restaure le sujet dans un réseau de liens.

     3. Étude de Cas : “Monsieur Pierre” ou la Colorée Résurgence

Monsieur Pierre, 82 ans, atteint de la maladie d’Alzheimer de stade modéré, est apathique et mutique. Lors des premières séances d’art-thérapie, il tapote la table de manière stéréotypée.
 

  • Séance 5 : Il saisit un bâton de pastel rouge avec une force inhabituelle et trace des cercles fermés, appuyés, presque violents, sur la feuille. 
    La levée du refoulement permet l’expression d’une énergie pulsionnelle brute, probablement une colère ou une frustration longtemps contenue.
     
  • Séance 10 : Il commence à entourer ses cercles rouges de bleu. Le geste est plus lent, plus apaisé.
    Le bleu peut symboliser une tentative de contenance (le bleu du ciel, de l’eau) face à l’affect rouge et brûlant. Le Moi tente de se réorganiser.
     
  • Séance 15 : Il montre son dessin à l’aide-soignante en murmurant « C’est bruyant... puis calme ». Pour la première fois, il met des mots sur un état interne. L’œuvre a fait office de traitement de l’excitation, transformant l’acte motuer brut en une représentation symbolique partageable.

Conclusion : Soigner la Subjectivité

L’art-thérapie d’orientation psychanalytique ne prétend pas inverser le cours neurobiologique de la maladie d’Alzheimer. Son ambition est plus profonde : elle vise à maintenir allumée la flamme de la subjectivité là où tout semble s’éteindre. En offrant un passage de la pulsion à la représentation, elle permet au patient de ne pas être seulement un « dément », mais de rester un sujet désirant, capable de laisser une trace unique et impérissable dans le monde réel.

Cet article vous a interpellé ? Vous souhaitez explorer comment l’art-thérapie pourrait aider un proche ou enrichir votre pratique professionnelle ?

  • Freud, S (1908). Le créateur littéraire et la fantaisie.
  • Roussillon, R (2008). Le jeu et l’entre-je(u).
  • Tribaud, M. (2016). Art-thérapie et maladies neurodégénératives.

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