Le Vieillissement en EHPAD : Comprendre les Défis et les Besoins Invisibles

 

 

Entrer en EHPAD marque souvent l'aboutissement d'un parcours de pertes successives : perte d'autonomie, du domicile, du réseau social, et parfois, de la capacité à se projeter dans l'avenir. Au-delà de la prise en charge médicale et hôtelière, bien réelle, un vide existentiel peut s'installer, caractérisé par une atteinte profonde à l'identité et un sentiment d'inutilité .

Pour les personnes atteintes de troubles neurocognitifs comme la maladie d'Alzheimer, ce déficit est exacerbé par la difficulté, voire l'impossibilité, de communiquer verbalement leurs émotions et leur vécu intérieur . Leur monde interne, riche mais inaccessible par les canaux traditionnels, risque de rester méconnu, conduisant à des comportements mal compris et à un isolement accru.

 

L'institution, avec son cadre nécessairement normé, peut involontairement renforcer cette sensation de dépossession. La vie y est collective, les temps rythmés par les soins, laissant peu de place à l'intimité des désirs et à l'expression de la singularité. C'est précisément dans ces brèches que l'art-thérapie trouve sa place, non pas comme une simple occupation, mais comme un véritable soin de support qui va chercher la personne là où elle en est.

 

L'Art-Thérapie : Une Réponse Thérapeutique à la Perte et au Silence

 

L'art-thérapie est une pratique de soin fondée sur l'utilisation du processus de création artistique à des fins thérapeutiques. Elle ne vise pas la production d'une œuvre esthétique, mais l'expression et l'élaboration, par la médiation artistique, de contenus psychiques internes souvent difficiles à verbaliser . Il s'agit de remettre la personne au centre, en tant que sujet actif de son propre processus de soin .

 

Contrairement à un atelier d'animation où le but peut être la réalisation collective, l'art-thérapie se focalise sur l'expérience vécue et les ressentis du patient durant la séance. Le thérapeute est un témoin bienveillant qui accompagne sans intrusion, laissant à la personne le temps de s'approprier les matériaux et les propositions . Comme le rapporte Cécile Louradour, art-thérapeute, cette approche permet de « remettre la vie psychique en mouvement » et d'ouvrir un espace de poésie et d'imaginaire, même en l'absence de mots .

 

Principaux bénéfices observés

 

Les bienfaits de cette approche sont documentés et multiples :

 

• Expression non-verbale et libération émotionnelle : Elle offre un canal d'expression privilégié pour les émotions enfouies, les peurs ou les souvenirs, sans avoir à passer par le langage structuré . C'est un espace où l'on peut exprimer des choses « de façon détournée » par le biais d'un support créatif .

 

• Restauration de l'estime de soi et de l'identité : L'acte de créer, de laisser une trace unique, permet de se réapproprier un sentiment de compétence et de valeur. Il aide à retisser un récit personnel en dehors du statut de « patient » ou de « personne dépendante » .

 

• Soulagement de l'anxiété et des symptômes dépressifs : L'immersion dans le processus créatif agit comme un « refuge psychique », permettant une mise à distance de la douleur et des angoisses. Des études citées notent une réduction du niveau de cortisol (hormone du stress) et une meilleure tolérance de la douleur .

 

• Stimulation cognitive et sensorielle : La manipulation de matériaux, les choix de couleurs et de formes sollicitent les fonctions cognitives, attentionnelles et sensorielles, contribuant à ralentir la dégénérescence cérébrale .

 

• Création et restauration du lien social : Que ce soit en séance individuelle, où se tisse une alliance thérapeutique forte avec le clinicien, ou en groupe, où émerge une reconnaissance mutuelle des vécus, l'art-thérapie lutte efficacement contre l'isolement .

 

L'Art-Thérapie au Sein de l'Équipe Pluridisciplinaire : Une Alliance Indispensable

 

L'efficacité de l'art-thérapie en EHPAD est inextricablement liée à son intégration au sein de l'équipe pluridisciplinaire. L'art-thérapeute clinicien n'intervient pas en solo, mais comme une pièce maîtresse dans le dispositif de soin global, en étroite collaboration avec le médecin coordonnateur, les infirmiers, les aides-soignants, les psychomotriciens, les psychologues et les animateurs .

 

Le travail en collaboration se décline ainsi :

 

• Intégration dans le projet de soin personnalisé : Les objectifs et observations de l'art-thérapeute nourrissent le projet personnalisé du résident, permettant une vision holistique de son évolution.

 

• Communication et complémentarité : Les comptes-rendus d'atelier (anonymisés) informent l'équipe sur l'état psychique du résident, ses ressources et ses difficultés, sous un angle différent de celui du soin purement physique ou médical. Par exemple, un résident apathique en unité de vie peut révéler une vive agitation créative en séance, indice précieux pour ajuster son accompagnement.

 

• Respect des fonctions et du cadre : Comme le souligne Cécile Louradour, il est crucial de ne pas suivre en art-thérapie les mêmes patients que l'on a en charge dans un rôle de soignant, afin de préserver la spécificité de chaque relation et la juste distance thérapeutique .

 

En France, la Haute Autorité de Santé recommande l'intégration de soins de support, dont l'art-thérapie, dans les parcours de soins, reconnaissant ainsi son rôle dans l'amélioration de la qualité de vie des patients .

 

‍‍‍ Le Rôle des Familles et la Continuité du Lien

 

Les familles, souvent en quête de repères et de moyens pour maintenir une relation qualitative avec leur proche, notamment lorsque la communication verbale s'effrite, trouvent dans l'art-thérapie un médiateur précieux. Les créations réalisées en atelier peuvent devenir des objets de dialogue, supports concrets pour échanger au-delà des questions de santé. Elles offrent une fenêtre sur le monde intérieur du résident, parfois rassurante pour les proches qui y découvrent la persistance d'une vie émotionnelle et imaginative. Inclure les familles dans certains ateliers ou lors de restitutions (comme des expositions internes) peut renforcer les liens, créer des souvenirs communs positifs et humaniser le parcours en institution.

 

Conclusion

 

La prise en charge du grand âge et de la dépendance en EHPAD ne saurait se limiter à une dimension technique. Elle exige de reconnaître et de soigner la personne dans sa globalité psychique et existentielle. L'art-thérapie, en s'adressant directement à l'inconscient et à la part créative de l'individu, propose une réponse clinique et humaine à la souffrance liée au vieillissement institutionnalisé. Intégrée avec rigueur au sein de l'équipe soignante et en partenariat avec les familles, elle participe activement à un accompagnement respectueux, qui vise non seulement à prendre soin, mais aussi à donner ou redonner du sens aux derniers chapitres d'une vie.

 

 

 

Références et sources pour approfondir :

 

• Syndicat Français des Art-thérapeutes (SFAT) - Définition et cadre d'exercice de l'art-thérapie .
• Revue Médicale Suisse - Publications sur les soins en psychogériatrie .
• Haute Autorité de Santé (HAS) - Recommandations pour les soins de support en oncologie et soins de longue durée .
• Études cliniques citées dans Frontiers in Psychology (2020) sur les effets physiologiques de l'art-thérapie .